“L’Union Européenne et ses défis” : suite

"L’Union Européenne et ses défis” : suite

Le 30 avril 2024, environ 300 personnes ont pu suivre, en visioconférence, le programme intitulé « L’Union Européenne et ses défis » avec la participation appréciée de Patrice Obert, ancien haut-fonctionnaire, auteur, citoyen engagé. Dans ce document, il répond aux questions qu’il n’avait pas pu traiter avant la fin de la visioconférence.

Ceux qui veulent lire le texte hors de l’écran peuvent le télécharger en PDF, ici.

 

  • Tous les Européens, pays et citoyens, donnent-ils la même valeur aux droits de l’homme avec la même définition ?

A Gdansk, il y a quelques années, j’ai rencontré des Polonais qui m’ont parlé de l’année 1968. Pour nous, à l’ouest, nous avons vécu 1968 comme une grande révolte contre les héritages, les traditions. Pour eux, à l’est, ils ont subi l’invasion de la Tchécoslovaquie par les Soviétiques. S’ils ont résisté, c’est justement grâce à leurs traditions, leur patrimoine, leur culture. A l’est, on a gardé le souvenir des invasions musulmanes et des sièges de Vienne par l’empire Ottoman, on a gardé le souvenir du Rideau de fer. Nous avons donc des visions différentes.

A l’Ouest de l’Europe, nous vivons une période de grande libéralisation des mœurs. Des lois sont votées pour autoriser le mariage homosexuel, la PMA, les droits des minorités LGBT++, la fin de vie sous forme d’euthanasie ou de suicide assisté, peut-être demain la GPA. A l’est, cette évolution est vécue comme une forme de décadence.

Il est important d’avoir en tête cette double vision.

  • Est ce qu’il n’y a pas un risque à minimiser le danger que représentent les élus d’extrême droite qui remettent en question la construction européenne ?

J’ai indiqué dans mon exposé que je me réjouissais que  les partis nationalistes investissent le parlement européen, pour plusieurs raisons : d’abord cela montre qu’ils ont changé par rapport  à leur option antérieure de quitter l’Europe ; ensuite parce que cela signifie qu’ils entrent dans le processus démocratique  et le combat politique au niveau européen ; dans tout Etat, il est bon qu’il y ait une majorité et une opposition , ou plutôt des forces  politiques différentes capables de travailler ensemble et de formuler un programme de gouvernement ; je fais enfin le pari que, en se frottant aux réalités, certains opposants farouches seront amenés à évoluer. Y a-t-il un risque ? Oui, il y aurait un risque majeur si ces partis obtenaient subitement la majorité mais rien dans les sondages n’indique qu’ils puissent atteindre la majorité de 351 députés. Il y a un risque réel si le PPE joue au feu en s’appuyant au coup par coup sur ces partis pour faire passer des réformes négatives ou pour s’arroger en quelque sorte un droit de véto. Je ne minimise donc pas le danger mais j’estime que c’est d’abord une victoire de la démocratie et une chance pour l’Europe que le parlement devienne une assemblée qui représente les diverses opinions et au sein de laquelle le combat politique se déroule.

  • L’Europe actuelle favorise les fractures sociales et économiques. Elle est basée sur une économie libérale à outrance…. Beaucoup sont déçus par cette Europe…  Quel programme propose une Europe des nations, respectueuse de celles-ci, et dont l’éthique puisse aboutir à de vraies valeurs démocratiques et d’indépendance réelle vis à vis des grandes puissances ?

On peut légitimement s’interroger sur ce concept d’Europe des nations. Les partis nationalistes fustigent l’Europe actuelle qui serait manipulée par une élite technocratique. C’est oublier comment fonctionne l’Union, qui repose d’abord sur le Conseil Européen (où siègent les chefs d’État et de gouvernement), sur la commission, dont la présidente est nommée par ce Conseil et dont les commissaires sont chacun désignés par les États, et enfin sur le Parlement qui représente les citoyens. L’Union actuelle n’est pas du tout fédérale. Elle reste cette fédération d’États-Nations dont parlait Jacques Delors. Elle a un fonctionnement intergouvernemental.

 En fait, derrière l’Europe des nations, on ne voit pas trop le projet qui pourrait se mettre en place : des coopérations entre tel et tel État, un principe de subsidiarité, des frontières fermées ?

A titre personnel, je pense que nous sommes actuellement dans une Europe des Nations. Rien ne se fait sans l’accord des États membres, même s’il y a des règles de majorité qualifiée.

Le saut fédéral (qui n’est pas du tout à l’ordre du jour) permettrait de bien distinguer les compétences relevant de l’Union (défense, commerce, contrôle des frontières, climat, anti-terrorisme) des autres compétences qui resteraient rattachées aux États (santé, culture, social, etc… bref tout le reste)

  • Comment expliquer cette montée, qui semble inexorable, des nationalismes dans de nombreux pays européens. Quels seraient les bouleversements internationaux qu’engendrerait une Europe à droite toute et l’Europe est-elle affaiblie comme le disent plusieurs médias ?

Les peuples sont inquiets devant des défis qui se multiplient : la guerre, les migrations, la crise climatique, les effets de la désindustrialisation. Plus globalement, les gens ressentent une angoisse devant la perte du statut de l’Europe face aux nouveaux empires (Chine, Inde, Russie, le Sud global comme disent les médias), c’est une menace extérieure, et la crainte ressentie d’une disparition de notre mode de vie, c’est une menace intérieure. Le plus urgent est donc d’apporter une nouvelle lecture géo-politique du monde, d’éclairer les évolutions de long terme et d’expliquer que l’Europe, comme l’Occident, après avoir dominé le monde durant quatre siècles, doit apprendre une nouvelle position à un moment où les défis mondiaux, dont au premier chef le climat, constituent une menace pour l’humanité. Il revient sans doute à l’Europe de définir le rôle qu’elle veut jouer dans ce réajustement du monde et d’indiquer aux gens que peut-être leur mode de vie évoluera mais peut-être pas dans un sens négatif pour eux. Ma foi, échapper à la folie consommatrice, à la dictature du temps stressé, à l’abrutissement devant les écrans offrira peut-être un mode de vie agréable.

  • Comment aider les médias à intégrer la dimension européenne ?

C’est un vrai et vaste sujet, essentiel ! Arte fait un travail intéressant en offrant un journal d’information élargi. Il faudrait d’une part élargir encore le champ d’Arte, d’autre part faire comprendre aux autres médias qu’ils ont une sorte de mission sacrée consistant à sortir du nombrilisme national.

Pour cela, il faut que les media rencontrent une demande de la part des auditeurs. La multiplication des occasions de voyage en Europe, le développement de formule type Erasmus amène un intérêt croissant pour l’Europe. Plus les gens connaissent d’autres pays, plus ils pratiquent différentes langues, plus ils rencontrent d’autres Européens et plus la perception européenne croitra. Je suis confiant dans le fait que les jeunes générations pratiqueront naturellement l’Europe

  • En dehors de toute religion, quelle est votre vision fraternelle de l’Europe ?

Dans notre ouvrage L’Europe et ses défis, nous avons consacré la deuxième partie à une présentation des défis auxquels l’Union européenne doit répondre. Mais nous avons consacré les 100 premières pages à l’histoire de l’Europe en identifiant ses singularités : sa maîtrise des sciences et techniques pour décoder l’univers, son rapport aux religions, ses valeurs démocratiques, liberté, égalité, diversité, l’attachement à l’Etat de droit, l’angoisse devant le bonheur, le goût de l’aventure, cette « inquiétude créatrice » qui définit l’Européen et en fait un humain différent des autres, ni pire ni meilleur, mais sans doute différent. Tout cela fait que nos points de convergence sont bien supérieurs à nos divergences quand nous regardons les autres civilisations. Nous ne sommes pas seulement des voisins, mais nous sommes appelés à être des frères et sœurs. La Fraternité reste bien entendu une utopie mais elle nous aimante. 

  • On entend souvent dire que si l’UE ne va pas bien ou est critiquée et mal comprise, c’est parce qu’il n’y a pas assez d’Europe… Que veut dire : il faut plus d’Europe ?

Plus d’Europe, ça signifie « plus d’Europe là où nous avons besoin d’être plus forts ensemble ». Plus d’Europe pour se défendre contre les visions anachroniques de la Russie poutinienne, pour se protéger contre d’éventuels virus qui se moquent bien des frontières, pour organiser des flux « humains et raisonnables » de migrants, pour maîtriser les excès des réseaux sociaux. Plus d’Europe, c’est garder cette réalité essentielle des nations avec leur histoire, leur identité, leur culture, leurs langues diverses. « Unie dans la diversité » est la magnifique devise de l’Europe. Elle signifie que notre diversité est notre force, mais que l’unité est un principe vital.

  • En France, lors du référendum de 2005, la majorité des Français n’ont pas approuvé le projet de loi qui autorise la ratification du traité établissant une constitution pour l’Europe. Mais un nouveau traité, le traité de Lisbonne, pratiquement identique est créé pour remplacer ce traité constitutionnel et est voté par les parlementaires deux ans plus tard… Pourquoi ? Est-ce démocratique ?

Le projet de Constitution n’aurait jamais dû être soumis à référendum. Car, à un référendum, on ne répond jamais à la question posée mais on exprime son mécontentement.

La question était trop complexe avec un texte long que personne n’avait vraiment lu et des stratégies politiques internes fâcheuses, je pense notamment au plan B de Laurent Fabius.

Une fois le « non » validé, nos responsables étaient dans une impasse. Il n’y avait pas de plan B. Il fallait malgré tout fonctionner à 28 et donc valider les textes permettant ce fonctionnement.

Du coup, tous les éléments symboliques qui étaient dans le projet de Constitution ont été enlevés et le traité de Lisbonne a été approuvé par les parlements. On a donc perdu sur tous les plans : les gens ont eu le sentiment – légitime – qu’on les trompait, on a récolté un texte sans plus-value symboliques en conservant les processus administratifs indispensables.

Le vote par les parlements n’est pas anti-démocratique au sens littéral. Mais cette procédure a été globalement désastreuse et on n’a pas fini d’en payer le prix.

 

En savoir plus sur Patrice Obert : http://patriceobert.fr/

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