En Afghanistan...Une personne de mon entourage est partie en Afghanistan et nous donne quelques nouvelles. Elle y exerce son activité professionnelle depuis le deuxième semestre 2017. Je ne donnerai ici aucun renseignement sur son identité, sur ses attaches, sur son parcours, sur l’ONG qui l’emploie sachant toutes les précautions qui sont prises sur place, par les ONG, pour garantir la sécurité de leurs intervenants. Je ferai seulement savoir qu’elle avait entrepris un premier cycle d’études universitaires puis qu’elle a choisi de se réorienter vers une nouvelle formation pour se préparer à une vocation perçue lors d’un voyage en Amérique latine : celle de travailler pour des ONG.

Pour moi, c’est toujours un plaisir d’échanger avec elle. À son retour du Liban, après un séjour de 6 mois pour son stage de fin d’étude, elle m’avait confié que les médias français informaient très mal de la situation dans le pays d’où elle arrivait. Profitons donc de ce témoignage pour nous informer.

De Kaboul, le 21 décembre 2017
Bonjour à tous,

J’espère que vous vous portez tous bien, que les enfants grandissent (mais pas trop vite !), que les sportifs continuent leur saison malgré le froid, que d’autres ont laissé le jardin pour les travaux d’intérieurs et enfin que tous vous préparez bien ces fêtes.

Petites nouvelles venues du froid des montagnes Afghanes.

En Afghanistan...Oui, les températures sont descendues ici, autant dire que le poêle est de rigueur même dans nos chambres ! La neige est tombée, mais il n’y a pas eu de bataille de neige comme nous ne pouvons pas vraiment mettre le nez dehors. L’ambiance n’est pas à la fête ici. J’ai quand même fait un calendrier de l’avant [Elle n’est pas vraiment de culture chrétienne mais de sensibilité bouddhiste] pour la maison avec mes deux collègues. Nous sommes si décalés en commençant nos semaines les dimanches qu’on risquerait d’en oublier Noël !

Quelques éléments de contexte et de la nouvelle crise humanitaire en Afghanistan sur laquelle j’interviens.

En Afghanistan, les Taliban occupent certaines zones du Nord et du Sud. L’EI est aussi présent depuis 2012 au Sud et à l’Ouest. En ce moment les groupes se disputent les territoires du Sud ce qui oblige les habitants à quitter leur région. L’hiver approche et des camps de fortunes se sont dressés. A cela s’ajoutent les retournés de l’Iran et du Pakistan qui ont trouvés refuge aux frontières sur les lieux de passages ou dans les zones montagneuses difficiles d’accès. Déjà discriminés dans les pays d’accueils, ils reviennent dans leur pays, fragilisés et désorientés.
On évoque souvent l’exil on parle peu des retours. Cela me rappelle des discussions que j’ai eu avec des latino-américains. Autre continent, autre histoire. J’entraperçois pourtant à travers ces histoires personnelles des similitudes et une souffrance partagée liée au déracinement, à cette perte d’identité, au retour d’un chez soi inconnu.

Je reste d’ailleurs particulièrement admirative face de cette résilience qu’on les Afghans. Que ce soit mes collègues, les personnes auxquelles nous portons assistance ou les autres rencontres que j’ai pu faire, ils ont tous été confrontés à des tragédies personnelles. Et ceci, particulièrement pendant ces années de pouvoir Taliban (1996-2001) ainsi que la phase d’attaques américaines pour « gagner les cœurs et les esprits ». Il y a encore cette forme de résilience chez ces gens qui luttent aujourd’hui pour leur survie. Sachant que le taux de malnutrition des enfants de moins de 5 ans est l’un des plus élevé au monde. L’Afghanistan voit encore planer les ombres du passé.

L’aide s’organise,

Le UNHCR aide ces gens à se réinstaller. Il prévoit une bourse versée pendant deux mois s’ils acceptent le retour (un peu la même stratégie adoptée en Europe avec les communautés Roms que l’on voulait mettre dehors). Mais, cela présuppose d’avoir été enregistré dans le pays d’accueil. Bref, les processus de sélection et les politiques internationales mises en place en accord avec l’État ne parviennent pas à répondre à l’ampleur des besoins. L’Afghanistan subit des crises chroniques.

Les enfants sont les plus touchés.

En particulier, ceux qu’en France on nomme “mineurs non-accompagnés” (MNA) transitent par la frontière Pakistanaise seuls. Souvent leurs familles sont restées au Pakistan. Ils rentrent en Afghanistan pour y travailler et repassent la frontière le soir. Le problème est qu’ils sont souvent pris dans des trafics au niveau de ces zones grises difficilement contrôlables.

Ces enfants travailleurs et les enfants en déplacements préoccupent particulièrement les ONG. Les ONG travaillent particulièrement à faire cesser les pratiques liées aux pires formes de travail soit : le travail forcé, l’exploitation, le travail dans des zones à risque (mines, etc…).

Enfin autre sujet que je voulais évoquer ce sont les MNA et les retournés d’Europe. On en parle peu en Europe (comme de la guerre au Yémen d’ailleurs, on vend tellement d’armes dans cette guerre, nos compromissions sont telles que rien ne peut passer ou presque dans les médias malgré les appels des ONG !) mais ces retours explosent depuis 2017 avec des risques réels de représailles pour les jeunes. (A lire : https://www.amnesty.fr/refugies-et-migrants/actualites/la-france-accelere-les-renvois-vers-lafghanistan).

Être née femme en Afghanistan.

Je rencontre des femmes pleines de courage ici. Je parle en particulier de celles que je croise au quotidien parce que beaucoup n’ont pas leur pleine liberté de mouvement (c’est aussi une question sécuritaire puisque cela les expose aux violences). Les années Talibanes ont rendu ce pays austère dans la pratique de l’islam. Les relations hommes-femmes sont complexes. Les femmes sont surtout nées pour être mariées et pour donner naissance à des enfants (enfin, plutôt des garçons !). La plupart des mariages sont arrangés et beaucoup de celles-ci sont mariées de force parfois dès 5 ans). Ces femmes ne connaissent pas non plus leurs droits et vivent les violences domestiques quotidiennes comme une norme selon une collègue (pendant la période talibane les femmes avaient interdiction d’étudier). La doctoresse avec qui je travaille ne sait, elle-même, pas toujours comment réagir face à ces situations que nous devons gérer. Pour elle et mon boss qui ont connu l’Afghanistan avant les taliban, la société s’est totalement transformée.

L’obscurantisme reste une menace pour ceux qui sont proches de ces groupes.]je comprends pas bien quels groupes?,} On m’a dit d’ailleurs que les gens développent des stratégies de protection en plaçant un enfant au ministère, l’autre dans une ONG, un autre dans un groupe armé, etc… pour avoir des soutiens possibles en cas de crise.
Et pour revenir aux femmes, celles qui ont obtenu des postes ont dû se battre pour être à la place qu’elles occupent aujourd’hui. Leur dynamisme m’impressionne. Je suis convaincue que le changement dans ce pays repose sur elles (et sur l’appui des hommes bien sûr !). Pour le moment, elles sont trop limitées dans leurs actions. En observant la représentativité et le nombre de femmes au gouvernement, j’ai d’abord pensé qu’elles avaient un appui solide. Mais, je me suis trompée puisque ce sont les plus conservatrices issue de l’élite qui sont élues.

L’Afghanistan d’aujourd’hui est une société très traditionnelle (et patriarcale).

Pour vous donner une idée : elles arrêtent l’école en moyenne autour de 14 ans (leur familles ne voient pas l’intérêt d’un investissement alors que quand elles seront mariées elles resteront au foyer). Puis, on les marient pour les placer sous la protection d’un homme et bénéficier d’une dote. Il est rare de rencontrer des Afghans qui ne sont pas mariés après 22-23 ans. Une femme a en moyenne 10 enfants. Cela veut dire que si elle n’est pas enceinte, elle allaite ou s’occupe de ses enfants en bas âge. Lors d’une réunion de l’ONU Femmes (UN Women) à laquelle j’ai participé, j’ai pu observer leur engagement. Les ONG prévoient de les soutenir ces communautés de femmes et de porter leur voix, en particulier pour les femmes victimes de violences. J’espère que cette action de sensibilisation qui a commencé il y a plus d’un an va porter ses fruits et améliorer leur condition. (Je vous recommande la lecture de Nadia Hashimi, La perle et la coquille, 2016 qui évoque la condition féminine en Afghanistan en 2007.)

Le Noël des expatriés.En Afghanistan...

Noël ne se fête pas ici, soit, mais la communauté française s’organise. J’ai déjà lancé les ateliers cuisine pour trouver nos recettes de plats (clin d’œil aux cuisinier-e-s de la famille qui vont se mettre aux fourneaux pour l’occasion !). J’avoue qu’on veut surtout éviter le riz ce jour-là 😉

A venir…

Peut-être une rencontre avec les archéologues de la mission Franco-Afghane et une visite de sites (j’avais postulé pour l’UNESCO sur un projet de conservation du patrimoine à Mes Aynak) ;

Un break en janvier pour : goûter à nouveau l’air de la mer, pouvoir marcher dans la nature, se sentir libre de se déplacer et de sortir, revenir à Paris […}.

Une recherche de financement avec l’ONU (UNOCHA fonds d’urgence) pour un nouveau projet concernant les enfants victimes de trafics, les mariages forcés et les femmes victimes de violences.

Les trucs en plus :

En illustration [ci-dessus], quelques petites photos du Nord du pays que j’ai trouvées ça et là [cliquer dessus pour les agrandir]. Et pour ceux que ça intéresse, un de mes prof de Sciences Po a écrit un bouquin sur ses missions en Afghanistan : Micheletti P. (dir.), Afghanistan, Gagner les cœurs et les esprits, Grenoble, PUG, 2011.

Désolée pour ce long mail, c’est l’occasion pour moi de vous donner accès à ce pays en vous livrant un aperçu de la situation.

Prenez soin de vous petits et grands, profitez de ces moments de convivialité. Joyeuses Fêtes à tous !

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